LA PHILO FORAINE, KESAZO ?

 

Philo foraine, Kézako ?




        1 - La philo foraine n'est pas un "one man show"

Parce qu’à la scène, ce n’est pas un comédien qui interprète son texte. Le fil d’une pensée se déroule, travaillée depuis des mois, déjà jouée, mais qui pourtant, à chaque représentation, est nouvelle. C’est donc une performance, et pas un spectacle seul en scène. D’ailleurs, c’est un numéro, comme il y en a chez les trapézistes ou les dompteurs. Peut-être d’ailleurs qu’il y a du trapèze et du fauve dans tout ça…


 

2 - La philo foraine n'est pas une conférence gesticulée


Ici, ce n’est pas un militant qui parle, et qui raconte son trajet de vie personnelle, sa sortie hors de l’idéologie dominante et sa conscience de gauche grandissante devant des militants rassurés dans leurs convictions. D’ailleurs, peut- être que la philosophie n’est pas là pour rassurer… Peut- être que le numéro de philo foraine dépayse, dérange, fait douter, stupéfie, et / ou enchante...



3 - La philo foraine n’est pas un cours complémentaire pour élèves en Terminale


Pas plus qu’elle n’est une initiation sympathique à la philosophie auquel on invite ses élèves, ses classes, ses enfants ou ses petits-enfants afin qu’ils découvrent sous un autre jour une matière scolaire. Le personnage – car il y en a un - déconstruit le rapport à l’autorité du maître, ce qui n’est pas un service rendu au prof. De plus, de la philosophie, Sénèque disait qu’elle était une provocation et Jankélévitch, une insolence, donc gare aux chastes oreilles. Peut-être d’ailleurs qu’il n’y a pas de philosophie sans un doux air scandale…



4 - La  philo  foraine  n’est  pas un « café-philo »


Il ne s’agit pas de réunion ou de débat pour aborder des points brûlants d’actualité ou des livres qu’on a lus, ou des auteurs qu’on voudrait commenter. C’est un moment philosophique, avec sa narration propre, son personnage et sa scénographie. Et soudain, l’effondrement de son quatrième mur. Peut-être d’ailleurs qu’il n’y a pas de réunions entre sachants, peut-être même qu’il n’y a pas de public, ni de preneurs de parole, mais une communauté politique qui s’essaye à exister…



5 - La philo foraine n’est pas une conférence


Pas de conférencier assis derrière sa table, avec un micro et ses notes qu’il lit à voix haute. Mais au contraire, un homme debout, parfois attablé à un mange-debout de bistro, dont le débit évoque plus le philosophe de comptoir que le collège de France, quand bien même le fond l’éloigne à jamais du PMU pour lui ouvrir les portes des séminaires de philosophie. Loin d’être une conférence, le numéro s’attaque à démolir soigneusement tous les codes de l’académisme de conférence. Peut-être parce que ceux qui viennent aux conférences ne viennent pas pour écouter mais pour s’y faire voir…



MAIS...



1 bis - La philo foraine, c'est un drag king


Il déboule en costume trois pièces. Mais peut-être un poil trop clinquant. Une grosse pince à cravate en argent, une montre à gousset, des bagouzes douteuses. Et si l’on y regarde à deux fois, nombreux sont les éléments qui clochent : le revers du pantalon cache mal une paire de Docs Martens plutôt pourraves et crapotingues, des tatouages ornent les phalanges, la coupe de cheveux semble être finie à la tondeuse à mouton. Quelque chose du dandy sans doute, mais passé par la lessiveuse punk…

A travers les poses qu’il prend, l’élégance chic fin de siècle le dispute au négligé d’une crapule sortie d’Orange Mécanique. Entre le mousquetaire et le mercenaire, le maître d’escrime et le prince du crime. Il y a chez lui du Monsieur Loyal mâtiné de l’aboyeur à l’entrée des baraques foraines.

 

Il prétend être surnommé Capitaine Love « par toutes les ladies et les chippendales qu’il a initiées à la philosophie » … Il se définit comme « philosophe forain, bonimenteur de métaphysique, et décravateur de concept ». Il rajoute parfois « pétomane mental et uniquement le week-end et sur rendez-vous ». Il met d’emblée à l’aise son public, il ne boxera pas dans la catégorie de Finkielkraut.

Il a une gouaille de vendeur au cul du camion, un humour douteux, railleur et cynique, une érotomanie galopante et truculente, une vulgarité très présente mais jamais grossière. Et pourtant, une érudition philosophique, des références livresques, une grande rigueur de démonstration, une capacité à répondre aux questions pointues du public…



2 bis - La philo foraine, c'est un décor


Un mange-debout de bar d’un côté, un fauteuil défoncé de l’autre, et notre homme qui déambule de l’un à l’autre. Lénifiant et compétent, il se cale à son guéridon, se siffle un verre de rouge, rigole et fait rire. Et puis soudain, rongé par le doute, s’inquiétant de ce qu’il vient de dire ou découvrir, il s’effondre dans le fauteuil miteux, et soliloque ses inquiétudes. Entre le philosophe de comptoir et le salonard d’un club chic, le dandy punk déploie sa philosophie au fur et à mesure qu’il arpente la scène.

 


3 bis - La philo foraine, c'est une bâche


Et au fond de la scène, une bâche est pendue… On la verrait d’ailleurs plutôt en cortège de tête sur une manif, pour bloquer les lacrymos, ou pour une promotion chez un carrossier automobile à la moralité incertaine.

Sur cette bâche, des caricatures de philosophes, des crobards rigolos et des schémas fléchés. L’inspiration des dessins est nettement à aller du côté de Robert Crumb et de Reiser, d’Edika et de Gotlib. Mais en même temps, parfois, il y a des détournements d’œuvres classiques, des pastiches et quelque chose du collage surréaliste. Déjà, à l’oral, le numéro de philo foraine cherchait à accoupler Socrate et Coluche. Voilà qu’à l’écrit (ou plus exactement, au crayon), c’est Léonard de Vinci qu’on marie à Wolinsky, et Picasso qui se fait recruter par Charlie-Hebdo…

Désopilante et riche d’enseignement, cette bâche n’est rien d’autre que le plan de son intervention. Il l’utilisera au gré de son numéro, moulinant de son pébroque, et pointant tel endroit de la bâche, en escrimeur des mots et spadassin du concept. Ainsi suit-on les méandres du chemin de pensée de « Capitaine Love » sans se perdre. Ainsi se marre-t-on devant les portraits de Platon en string et de Kant en bicyclette…

 


4 bis - La philo foraine, c'est un timing hors du temps  

 

Il attend le public dehors, plaisante et argumente, installe son personnage et fabrique la relation. Hâbleur et mondain, il dragouille en attendant que ça commence. Mais au fait, ça a peut-être déjà commencé ?

On entre, il fait son numéro. Traite la question avec rigueur et humour, tapage et introspection, boniment et spéculation.

Puis il donne la parole au public. Reste   sur   scène,   toujours   dans son personnage. Rebondit, distribue, plaisante. Le public débat, s’arraisonne les concepts, les articule à sa vie propre. Il accompagne, s’étonne avec eux. Est prêt à mettre à bas tout ce qu’il a pu énoncer. Trace des lignes de force entre les intervenants, dessine des nouvelles problématiques. Aide à accoucher d’une intelligence collective.

C’est fini. Le public sort. Il sort avec lui. Traînouille vaguement à l’entrée, à la buvette, dehors au milieu des fumeurs de clopes, dans le hall… Il s’attarde. Des petits attroupements se font… Il reste… Toujours dans son personnage, mais un peu moins drag king. Quoique… Recueille une pensée qui n’aurait pas osé la prise de parole en public, qui a besoin de temps, ou de pudeur. Plaisante, toujours…. A dit que c’est fini. Mais ce n’est pas fini. Mais comme le lieu et l’atmosphère ont changé, et comme il a dit que c’est fini, cela continue, autrement.

Et c’est très important ce moment, non-officiel, hors-champ. Il ne donne pas l’impression d’être sur scène, alors il se lâche une autre parole, qui prend le risque de la grande sincérité. Il la reçoit comme telle. Il s’autorise une autre écoute.

La philosophie est destituée de son piédestal, enfin.

Peut-être qu’elle commence, alors.

 


5 bis - La philo foraine, c'est un public investi

 

En résumé ? On se souvient du personnage truculent et va-de-la-gueule. Mais la vérité de ce qui s’est joué, là, c’est que plus de 70% du temps a été consacré au débat, à la rencontre, au dialogue, à l’échange, afin que les gens s’emparent des idées, les fassent leurs, dialoguent entre eux, interrogent leur condition et l’éclairent du dedans. Et ça vaut toutes les coloscopies du monde.





CATALOGUE DES NUMEROS DE PHILO FORAINE

1.   L'amour : avec un grand A ? avec un gros tas ?

2.   Dieu est un trou et satan m'habite

3.   Quelle différence y a-t-il entre une embauche en CDD et une fessée déculottée ?

4.   Ivresse, sagesse et paire de fesses

5.   Petite philosophie du punk à chien

6.   Tout savoir sur ce qu'on vous cache à propos du complot

7.   Faire un régime dissocié, est-ce cautionner l'apartheid ?

8. Quelle différence y a-t-il entre un ministre de l'écologie avec des casseroles au cul et un chef indien d'Amazonie avec des plumes dans le derrière ?

9.   Pourquoi il vaut mieux se mettre les burnes en route plutôt que se prendre un burn-out

10. Pourquoi les femmes sont-elles tellement insupportables ?

11. Le cambriolage des maisons bourgeoises : une alternative crédible à la crise des marchés ?

12. Faut-il tuer les vieux à la naissance ?

13. Bouffer des bourgeois pour lutter contre la crise sociale et climatique

14. ENA = Ecole Nationale des Arracheurs de dents ?

15. Comment bétonner la démocratie tout en démolissant la république

16. L'univers entier n'est-il qu'un ring de boxe ?

17. Que fait la police !?

18. La peur du bon dieu suffit-elle pour limiter le nombre des salauds ?

19. La fin du monde : poubelle jaune ou poubelle verte ?

20. La laïcité : un sacré machin

21. Les philosophes sont tous des cons, même Socrate

22. Elections, tire-bouchon

23. En deux-mille vingt-dusse, Votez Virus

24. Métaphysique du 69

25. Quand une feignasse gribouille sur son plumard, qu'est-ce que l'alité rature ?

26. L’Ethique s’attrape-t-elle dans les hautes herbes ?

27. Le libéralisme, une dictature douce et décomplexée ?

28. Le Monde entier n’est-il qu’une gigantesque chasse d’eau ?

29. Quelle différence entre le tonneau de Diogène et les barriques de [Ajoutez ici le nom du domaine qui organise la soirée] ?

30. Portrait de la philosophie en trou avec du poil autour.

31. Quelle différence y a-t-il entre un vieil irlandais rouquin, chauve, avec d'énormes favoris, perdu à poil dans la forêt de Bornéo, et un orang-outang en costume qui boit du ouisky dans un pub à Dublin ?

32. Le seul or qui dure c'est l'ordure

33. Métaphysique de la grosse caisse (suivie d'une méditation sur l'hélicon)

34. Faut-il baiser comme un lapin ou méditer en tibétain ?

35. Mais qu'est-ce qu'on va tous devenir ?

36. Métaphysique de la gadoue

37. La statue de la liberté s'épile-t-elle sous les aisselles ?

38. Peut-on bourrer les urnes comme on bourre le mou ?

39. Portrait du philosophe en Ultimate fighter

40. Franchement, vous croyez vraiment que l'enfer, c'est les autres ?!

41. Pourquoi il vaut mieux avoir les bourses en actions, plutôt que les actions en bourse

42. Tarot philo

43. Qu'est-ce que je fous là ?

44. Faut-il raconter des salades ou se contenter de les laver ?

45. Le lancer de pavé dans la gueule d'un flic est aussi un humanisme

46. Pourquoi faut-il toujours tirer la gueule sur les photos d'identité ?

47.  Reprendre racine sans quitter ses godasses

48. La Philo peut-elle tordre les barreaux ?

49. Désirer Miss Féria de Nîmes 2016, est-ce succomber ou s'accomplir ?

50. Travailler dur pour penser mou

51. Un vegan peut-il gueuler : " Mort aux vaches !" ?

52. L'entartage du corps électoral, une solution au cumul des mandats ?

53. Voulez-vous mourir avec moi, ce soir ?

54. Vous croyez vraiment que le bonheur est dans le prêt ?

55. L'artiste est-il un cochon de voyeur ?

On s'extasie sur l'artiste dès qu'il peint des choses criantes de vérité. Mais à quoi bon s'enquiquiner à nous donner à voir les choses dans les musées si elles sont là, déjà, dehors, et pour moins cher. À quoi bon l'art s'il est copiste du réel ? À quoi bon s'enfermer pour une conférence sur le beau, alors qu'il fait beau, dehors ?

56. Pour être un artiste, faut-il que la Muse m'habite ?

57. Quand une zouze sur la plage trouve un mec bien gaulé trop beau gosse, est-ce à dire qu’elle expérimente un état de contemplation esthétique ?

58. Quelle différence y a-t-il entre un banc de thons et ceux de l'assemblée nationale ? (les bancs, pas les thons)

59. Portrait de l'auteur en fanfaron dézombifié reconverti en bateleur de fête foraine

60. Dieu est-il mou ?

61. Einstein peut-il sucer des pingouins en CDD chez Monsanto?

62. L'ambition politique est-elle une maladie mentale comme les autres ?

63. Comment communier avec le cosmos sans se ruiner en LSD?

64. Comment être malade, le savoir et s'en réjouir ?

65. Quelle différence entre un livret d'opéra à Bayreuth et une barrette de shit à Belleville?

66. Moins on se connaît, mieux on se porte

67. Faut-il se faire le maillot ou le mouiller ?

68. Comment bouffer philosophiquement ?

69. Comment boire philosophiquement ?

70. Comment baiser philosophiquement ?

71. Comment peut-on être anarcho-flibustier sans virer Debord ?

72. Comment bien rater sa vie en sept étapes

73. Comment rater son entretien d’embauche (1/7)

74. Comment louper sa vie de couple (2/7)

75. Comment gâcher ses vacances (3/7)

Les gens, trop ils sont contents de faire leurs bagages, dans une ambiance de grillades et de claquettes de plage. Mais depuis que les loisirs sont devenus une industrie et le tourisme une pratique de masse destinée à défoncer le climat et à spectaculariser les derniers lieux authentiques, on peut se demander si les vacances les plus répandues ne sont pas les vacances les plus ratées. De Joffre Dumazedier à l’apologie des fainéants de Stevenson ou Russel en passant par la critique du marxisme, ce sera l’objet de ce puissant blabla qui, pour mettre à l’épreuve intellectuelle la notion même de vacances, convoquera la skholè des Grecs, l’otium des Latins, la paresse de Cossery et peut-être même, si l’on est sage et qu’on reste jusqu’au bout, la Gueuse des Lambics.

76. Comment maltraiter tout le monde en étant bienveillant avec chacun (4/7)

77. Comment se planter dans ses engagements politiques (5/7)

78. Comment saccager sa vie intérieure par le développement personnel (6/7)

79. Comment pourrir les ambiances à table en se prenant au sérieux  (7/7)

80. Quand tout est vain, il reste le vin

81. Le cannibalisme est-il l’avenir de la lutte sociale ?

82. La critique de l’hétéronormativité cisgenre peut-elle être un bon moyen de pécho de la féministe ?

83. La foi est-elle une maladie mentale comme les autres ?

84. Platon, sa caverne, son trou et ceux qui l’habitent

85. Pourquoi les femmes ont-elles la langue bifide ?

86. L'Homme porte un loup pour l'homme

Les gens sont bizarres. Ils s'imaginent que rien n'est plus cool que de communier, dans la transparence et la franchise, avec une fusion d'âme à âme quasi nucléaire, dans une grande patouille complice et aimante. Sauf que ça marche pas comme ça, ni en amour, ni en politique, ni même avec soi. Le miroir qu'on se tend à soi-même est aussi déformé que celui du palais des glaces. L'autre est beau et désirable quand il reste une énigme hors d'atteinte. Et en en politique tu peux toujours courir pour qu'ils fassent bas les masques.

Commentaires

  1. Je me pose, avec des potes chelous, la question suivante, et nous aimerions prof-iter de vos lumières : Peut-on tout dire en l'autre ?

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